WikiLeaks : les Etats-Unis en première ligne dans la lutte contre Al-Qaida au Yémen



Qui mène la guerre contre Al-Qaida pour la péninsule arabique (AQPA), cette "filiale" créée au début de l'année 2009 et retranchée dans les confins du Yémen ? Officiellement, ce sont les forces de sécurité yéménites en coopération avec les Etats-Unis qui s'inquiètent depuis 2000 et l'attaque meurtrière à Aden contre un bâtiment de guerre de leur marine, le Cole, de la présence de djihadistes aguerris dans les camps afghans.
 
 
Le rôle américain est cependant bien plus important, comme en témoignent les notes diplomatiques obtenues par WikiLeaks et révélées par Le Monde, même s'il est tenu secret compte tenu de l'animosité que suscitent les Etats-Unis dans le pays.
"Je vous ai ouvert grande la porte pour ce qui est du contre-terrorisme, je ne suis plus responsable", assure ainsi le président Ali Abdallah Saleh à l'adjoint au conseiller à la sécurité nationale du président Barack Obama, John Brennan, selon un "mémo" du 15 septembre 2009. Les diplomates américains en tirent la leçon suivante: le président souhaite concentrer ses forces sur les autres périls armés qui le menacent, à commencer par la rébellion qu'il ne parvient pas à réduire dans le nord du pays.
Moins de quatre mois plus tard, les deux parties se retrouvent pour se féliciter d'un raid meurtrier mené contre une base supposée d'AQPA. "On continuera de dire que ce sont nos bombes et pas les vôtres", assure le président yéménite au général américain David Petraeus, selon un compte-rendu du 4 janvier 2010.
A ses côtés, le vice-premier ministre chargé de la défense et de la sécurité, Rachad Al-Alimi, se glorifie presque d'avoir "menti" au Parlement devant lequel il vient de déclarer que le bombardement a été causé certes par des bombes de fabrication américaine mais utilisées par les troupes régulières yéménites.
Le président yéménite profite de l'occasion pour réclamer douze hélicoptères de combat et pour se féliciter de la décision américaine de remplacer les tirs de missiles de croisière, jugés "pas très fiables", par des rotations de bombardiers croisant en dehors de l'espace aérien du Yémen, car "il ne faut pas être vu" . "Vous n'allez pas sur le terrain, vous restez dans la salle d'opération": telle est la consigne.
LES CALCULS PERMANENTS DU PRÉSIDENT SALEH
"Au sommet de son art", "virtuose en diable", les expressions imagées rompant avec la sécheresse du langage diplomatique fleurissent dans les "mémos" américains lorsque les diplomates rendent compte de leurs entretiens avec le président yéménite, longtemps réputé pour son habileté à louvoyer au milieu de courants contraires même si les diplomates américains s'interrogent de plus en plus, au fil des télégrammes, sur sa capacité à tenir tête àla fois à la guérilla installée dans le nord depuis 2004 et aux tensions séparatistes du sud qui grandissent à partir de 2008.
Le président Saleh tente toujours de faire monter les enchères lorsque les Etats-Unis lui soumettent des requêtes. "Où est mon matériel ? Les équipements et les armes que nous avons demandés pour notre unité antiterroriste?", demande-t-il au cours d'une conversation téléphonique après la capture d'un Yéménite suspecté de liens avec Al-Qaida, selon une note du 13 avril 2005 : "Je réponds présent immédiatement quand vous avez besoin de quelque chose, et vous, vous devez faire la même chose avec moi."
"Vous êtes pressés quand vous avez besoin de nous, mais vous prenez votre temps quand nous avons besoin de vous ", se plaint derechef le président dans un "mémo" du 3 mars 2010.
Ce calcul permanent est démontré en avril 2007, lorsque, à sa demande, les médias pro-gouvernementaux font état d'un "avion espion iranien" abattu sur la côte longeant la province du Hadramout. Il s'agit en fait d'un drone américain qui patrouillait dans les environs sans que Sanaa en ait été informé. "Saleh aurait pu s'attirer les faveurs de l'opinion en nous montrant du doigt mais il a fait le calcul qu'il aurait tout à gagner en accusant l'Iran", écrit alors l'ambassade américaine.
Le pays le plus pauvre de la péninsule arabique dont le territoire échappe en grande partie au contrôle de l'Etat est aussi réputé pour être un haut lieu du trafic d'armes, ce qui inquiète le Etats-Unis.
A de nombreuses reprises, le président se plaint d'être la victime de trafics sur lequel il n'a pas prise. Ce qui n'émeut guère les diplomates américains qui rédigent dès le 8 février 2005 une note établissant que seulement 25% des commandes d'armes aboutissent aux arsenaux officiels, le reste étant détourné par les militaires, à tous les échelons, ainsi que par les marchands d'armes yéménites.
UN MARCHAND D'ARMES INVITÉ À TABLE
La récolte des armes qui circulent presque librement dans le pays fait l'objet de discussions homériques entre le président et les Américains. Cela vaut tout particulièrement pour des missiles sol-air portables portés manquants dans les arsenaux officiels et que les Etats-Unis veulent récupérer contre espèces sonnantes et trébuchantes .
"Le Yémen n'aura plus jamais de telles armes, mais chaque chose a un prix. Vous allez devoir payer... un million de dollars pour chaque unité", lance le président Saleh avant de s'esclaffer. A cet instant, selon la note du 21 août 2004 qui rapporte ces propos, le traducteur officiel yéménite se tourne embarrassé vers la délégation américainepour glisser : "Je crois qu'il est de mon devoir de vous indiquer qu'il s'agit d'une plaisanterie."
Comme le relate une note du 30 octobre 2007, interrogé sur cette question des armes par Frances Townsend, assistante du président des Etats-Unis pour la sécurité intérieure et le contre-terrorisme, le président Salah interrompt le déjeuner qu'il partage avec la délégation américaine, s'absente et revient aussitôt avec l'un des marchands d'armes les plus connus du pays, Fares Mana'a, présent dans le palais présidentiel et qui sera ultérieurement désigné comme médiateur dans le conflit avec la guérilla du nord.
"S'il ne se comporte pas bien, emmenez-le avec vous à Washington, ou à Guantanamo", lance le président à l'attention de ses visiteurs avant de faire asseoir le trafiquant à leur table. La scène inspire un commentaire désabusé des diplomates américains : "Si tout ce qu'il dit à propos de sa détermination à lutter contre ce trafic était vrai, les marchands d'armes auraient déjà disparus." Et une réflexion à propos de la scène: "C'est un message clair pour les Etats-Unis: dans son pays, il fait ce qu'il lui plaît
 ."
Les télégrammes utilisés pour cet article sont :




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